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Jour 15: L’Ascension !

Aujourd’hui, je me la joue en solo ! Depuis le début, je rêve de cette ascension qui s’annonce épique mais au fur et à mesure que ce jour approchait, j’hésitais. Serais-je capable de faire cette randonnée en une journée, la ou la plupart des gens le font en deux ? Serais-je capable de me farcir un dénivelé positif presque deux fois plus grand que celui du col des Bœufs à Mafate ? Et la météo dans tout ça ? Si il annonce mauvais temps, ce n’est même pas la peine d’y penser. Finalement, ça sera l’élément déterminant. La veille, j’ai regardé la météo qui annonce grand soleil sur la région et j’ai demandé confirmation à notre hôtesse qui m’a confirmé la bonne nouvelle. J’hésite encore un peu mais mon épouse me convainc d’y aller. Elle m’attendra ici ne se sentant pas de faire une ascension pareille mais elle m’encourage à le faire. C’est décidé, je mets mon réveil à 4h30 et je prépare mon sac et mes affaires la veille.

Je m’apprête donc en vitesse et discrètement pour ne pas réveiller mon épouse, je passe par la cuisine commune engloutir le déjeuner que notre hôte m’avait préparé et je file à ma voiture. Moins de dix minutes plus tard, je m’arrête au lieu-dit « Le Bloc » et je gare la voiture sous les grands cryptomerias qui se trouvent la. Il fait encore nuit quand je me lance sur le sentier et je fixe ma lampe frontale. Je cherche un peu ou je dois me diriger et c’est parti. Je suis à 1380 mètres d’altitude et je vais devoir monter jusqu’à 3070 quand je serai au sommet (si j’y arrive !).

Bizarre sensation que d’être absolument seul, de nuit et en pleine forêt. La première partie se fait en pleine forêt de bois de couleur, sur une pente régulière. Je vois que le soleil commence tout doucement à se lever ou peut-être est-ce ma vue qui s’habitue à l’obscurité mais en tout cas, je suis au milieu de la forêt du Grand Matarum. C’est donc peu dire qu’on ne voit pas très loin devant soi mais le chemin est facile à suivre. Je finis par arriver sur le plateau du Petit Matarum, une partie un peu plus plate ou une espèce de petite grange subsiste ainsi qu’une fontaine « naturelle » ou l’on peut remplir sa gourde. J’en profite donc pour boire tout mon saoul avant de me remettre en route. Je n’ai encore croisé personne jusqu’à présent et le jour a maintenant chassé la nuit. Les arbres sont un petit peu clairsemés sur le plateau ce qui permet de voir le ciel.

Après dix petites minutes de repos, je me remets en route et les choses commencent à se compliquer. En effet, le chemin est en lacet serré parsemé de marches plus ou moins hautes, certaines n’étant pas loin de mesurer un mètre. On se fatigue beaucoup plus vite dans ces conditions mais la végétation commence à s’éclaircir un petit peu. Je décide de sortir pour la première fois mon appareil photo que j’avais laissé bien à l’abri dans mon sac. Pas question de le porter autour du cou dans une ascension pareille ! La vue que j’ai sur le village de Cilaos, en contrebas, me confirme que j’ai déjà pris pas mal d’altitude !

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Cette partie est le domaine des branles verts, une espèce de fougère endémique de la Réunion, recouverte de « barbes de Jupiter » (sorte de lichen, usnea barbata). Je finis par arriver à un premier col qui permet de se rendre compte que la première partie est terminée. Je vois que quelques centaines de mètres plus bas, deux hommes me suivent. Ce sont les premiers que je verrais. A la limite, c’est rassurant de savoir que je ne suis pas le seul sur le sentier. En cas de problème, j’aurais vite de l’aide. Je reprends le chemin qui amène au gîte de la Caverne Dufour.

C’est ici que la majorité des gens s’arrêtent pour y passer la nuit. Cela leur permet d’entreprendre tôt le lendemain l’ascension jusqu’au sommet et de pouvoir admirer le lever du soleil. Ça ne sera pas mon cas mais ce n’est pas plus mal. En effet, tout ce monde est en train de revenir de la-haut et laisse donc le champ libre à des personnes comme moi. Je fais une courte halte ici, à déjà presque 2500 mètres d’altitude. Encore un peu plus de 500 à grimper ! J’en profite pour aller remplir ma gourde dans les sanitaires de ce gîte à l’aspect un peu rustique. Ils sont tous en train de déjeuner et ne vont pas tarder à entamer la descente vers le Bloc ou ailleurs. En effet, d’ici on peut emprunter d’autres sentiers plus ou moins compliqués pour rejoindre Hell-Bourg (cirque de Salazie) ou Bourg-Murat (région du piton de la Fournaise).

Je vais maintenant entamer la partie la plus dure de la marche (ça promet !). Ce volcan, né il y a cinq millions d’années mais qui n’est sorti de l’eau que deux millions d’années plus tard est considéré comme le point culminant de l’Océan Indien. C’est grâce à lui que cette île existe car son massif recouvre les trois cinquièmes de la superficie actuelle de la Réunion. Il est au repos depuis maintenant 12000 ans, ça serait pas de bol si il se remettait en activité aujourd’hui ! Avec une altitude de 3070,5 mètres, il ne serait que le résidu d’un effondrement de son sommet qui culminait il y a des milliers d’années à plus de 4500 mètres. Autant dire que si ça avait été encore le cas, je ne me serais pas lancé dans l’aventure ! Par contre, son nom est trompeur car il n’y a pas de neiges éternelles au sommet. Seuls quelques rares et brefs épisodes neigeux souvent cachés par le mauvais temps apparaissent. Néanmoins, son nom actuel daterait de 1735 suite à une période d’enneigement particulièrement importante.

La première partie de cette montée est infernale ! On passe son temps à escalader de gros rochers, sur un sol coupant qui ne pardonne pas la moindre chute. Il n’y a pas de chemin à proprement parler, on doit suivre des traces blanches peintes au sol comme il y en avait au Piton de la Fournaise. J’ai l’impression que l’oxygène se fait de plus en plus rare au fur et à mesure que je prends de la hauteur. Il serait peut-être temps d’arrêter de fumer ! Au gîte, je m’étais recouvert de crème solaire car le soleil est bien présent et je pense avoir bien fait. L’air est sec et frais mais on sent que la peau à cette altitude est mise à mal.

Arrivé à une petite ravine que l’on traverse, on change encore de sol. Ce sont maintenant de tout petits gravillons dans lesquels on s’enfonce. Souvent, on monte d’un mètre et aussitôt on redescend d’un demi. C’est très frustrant et extrêmement fatiguant. Par contre, la vue est déjà exceptionnelle dans un environnement minéral magnifique. Encore loin devant nous, on voit le sommet ce qui me permettra de ne pas baisser les bras. Les dernières centaines de mètres me semblent interminables, le souffle ne suivant plus. Néanmoins, je refuse d’abandonner et en me retournant, je vois que cinq ou six personnes me talonnent. Je veux être le premier au sommet donc je me remets en route péniblement. Puis, au bout d’une dernière pente sur un sol rouge, un peu comme de la terre battue, j’arrive enfin au sommet de ce Piton des Neiges en pôle position ! Je vous laisse imaginer la fierté que l’on peut ressentir après un effort aussi intense. Je ne peux m’empêcher de crier un « YES » de contentement avant d’être rejoint par deux marseillais d’une cinquantaine d’années.

Il me demande de les photographier et ils me rendent la pareille. Il faut des preuves quand même ! J’allume ma première cigarette de la journée avec le sentiment du devoir accompli et je téléphone à mon épouse pour lui annoncer que ça y est, j’y suis ! La vue sur les environs est splendide et on a l’impression d’avoir le monde à ses pieds ! Par contre, il fait nettement plus frais ici et très vite, je suis obligé de remettre mon gilet.

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Je reste finalement plus d’une heure au sommet, à contempler les environs et à récupérer un maximum. En effet, la montée fût rude mais la descente sera encore plus périlleuse ! Les genoux souffrent énormément, notamment dans les hautes marches après le gîte et je ne suis pas loin de partir une ou deux fois en avant. J’arrive toujours à me rattraper d’une manière ou d’une autre mais je commence à vraiment fatiguer. Je croise maintenant beaucoup de personnes qui entreprennent l’ascension jusqu’au gîte pour y passer la nuit. Quand ils me voient descendre durant l’après-midi, beaucoup me demandent d’ou je viens. Je leur explique que j’ai réalisé l’ascension sur la journée et beaucoup me traitent de fou intérieurement. Je finis par arriver à la fontaine, synonyme d’être presque revenu à la voiture. Je m’accorde une longue pause réhydratation car mes gourdes sont vides depuis quelques temps et je m’assieds à l’entrée la « grange » qui est en fait un refuge bien sale …

Alors que j’arrive enfin en vue de la voiture, je retrouve les deux marseillais couchés dans l’herbe qui attendent le bus qui les ramènera à Cilaos. Je leur propose de les ramener et je les dépose non loin de leur gîte avant de rentrer rejoindre mon épouse.

J’aurais finalement mis un peu plus de dix heures pour parcourir les quinze kilomètres de cette randonnée pas faite pour tout le monde mais qui offre une récompense digne de ce nom !